“Tombe” 13 : Cimetière privé protestant Famille Pouchet

LE CIMETIÈRE PRIVÉ PROTESTANT DE LA FAMILLE POUCHET AU HAMEAU DU MONT PELIER À GRUCHET-LE-VALASSE

Un cimetière protestant se cache parmi les nouveaux pavillons du Mont Pelier. Sur les stèles encore visibles, on distingue avec difficulté un nom : Pouchet. Un patronyme célèbre dans la région puisqu’il est celui d’une famille d’industriels ayant fait leur fortune et celui, célèbre, d’Ezéchias Pouchet.  Quel est lien entre les occupants du cimetière et Louis Ezéchias Pouchet ?

D’Ezéchias Pouchet au cimetière des Pouchet

a)     Louis Ezéchias Pouchet : le plus célèbre Pouchet de Gruchet ?

Louis Ezéchias Pouchet, fils d’Abraham Pouchet, fabricant à Bolbec, et de Jeanne Pouchet, est né à Gruchet-le-Valasse le 1er Juin 1748. Louis-Ezéchias Pouchet innova dans son domaine. En effet, en tant que manufacturier, il apporta d’Angleterre, particulièrement de la région de Manchester, des techniques de productions textiles et les implanta dans la région, notamment dans la ville de Bolbec. Il est celui qui introduisit en France le filage mécanique de coton et, avec Alexandre Fontenat, de filatures de cotons mues par la force hydraulique avant de l’être par la vapeur.

Il introduisit les mécaniques d’Arkwright « auxquelles il fit subir tant de perfectionnements de la plus haute importance » qui remplacèrent le rouet du filage artisanal. En 1787, il fut appelé à la direction de la filature de Louviers, la première qui existât en France, où il installa et perfectionna les continus d’Arkwright. Il construisit même une machine de 200 broches et obtenait des cotons filés d’une finesse exceptionnelle.

Il s’intéressa également à la métrologie (communément appelée la science de la mesure) et publia des ouvrages de référence comme : Echelle graphique des nouveaux poids, mesures et monnoies de la République française et des ville et pays les plus commerçants de l’Europe (1795), Métrologie terrestre, ou Table des nouveaux poids, mesures et monnoies de France (1797) et Le Nouveau titre des matières d’or et d’argent, comparé à l’ancien (1798). « Ses actions en faveur de l’industrie textile normande (…) méritent bien qu’une rue de Gruchet-le-Valasse porte son nom, qui est aussi celui d’une famille qui a marqué l’activité agricole et industrielle » écrit Colette Lecerf.
Félix-Archimède Pouchet, son fils, est une figure historique incontournable de Rouen, professeur de botanique, et essentiellement l’un des premiers scientifiques à théoriser le principe de l’ovulation[1].

Ils ne sont pourtant pas les Pouchet les plus importants pour la commune de Gruchet-le-Valasse.

« Dans notre ville (ROUEN), à la prospérité de laquelle il a tant contribué en donnant l’élan à sa principale industrie, ses travaux et sa mémoire n’ont pas été oubliés par tout le monde » écrit son fils Félix Archimède Pouchet dans Notice biographique sur Louis-Ezéchias Pouchet, négociant à Rouen, membre de la société d’émulation de Rouen[2].

Dans la ville de Gruchet-le-Valasse, dans le quartier de La Roche, on rend hommage à ce grand manufacturier et innovateur que fût Louis-Ezéchias Pouchet. Pour souligner son importance dans l’histoire de la communauté, un mail porte son nom.

Cette distinction laisse à croire que Louis Ezéchias Pouchet est le membre le plus important de la famille Pouchet de Gruchet-le-Valasse.

b)     Pierre Pouchet et la branche gruchetaine

Pierre Pouchet est le second fils d’Abraham Pouchet et de Jeanne Pouchet. Il développe l’industrie de son père, « sa manufacture comptera lors de son décès parmi les manufactures importantes de la Haute-Normandie. Il est donc d’abord marchand à Gruchet (1755) (…) Quelques années plus tard, en 1775 — il a alors près d’une cinquantaine d’années — il créé sur sa ferme, bien qu’elle soit située à 130 mètres environ d’altitude, loin de toute source et de tout cours d’eau, une manufacture de toiles peintes. Il emploie à cet usage deux bâtiments qui couvraient une surface de 570 mètres carrés, si nous nous en rapportons au cadastre établi vers 1828, et qu’il avait peut-être fait édifier lui-même, car 80.000 briques figurent dans l’inventaire après son décès [3] ».

Portrait Pierre Pouchet, sans date

Au moment de son décès il est à la fois cultivateur, industriel et « avait été député à l’Assemblée préliminaire du tiers état du bailliage de Caudebec pour rédaction des cahiers ».

Son fils Pierre Jacques Pouchet (1764-1830), est d’abord marchand à Gruchet, puis à Bolbec. Il prend en location entre 1761 et 1770 la ferme du Mont Pelier, sise à Gruchet, moyennant un fermage de 600 livres, exploitation comprenant cour-masure, herbages, labours et bois-taillis d’une contenance de 60 acres.

b)    Des Pouchet inhumés au milieu des pavillons

Au bout du chemin des Celtes, dissimulé au milieu des habitations, se trouve un petit cimetière appelé le « cimetière protestant » par le peu de Gruchetains et Gruchetaines qui en connaissent l’existence. Mesurant 54 m2[4] et de forme légèrement rectangulaire, la parcelle est totalement dissimulée par les nouvelles constructions et est indétectable de l’extérieur. On y dénombre sept sépultures, dont une semble inoccupée car il n’y a pas de stèle.

Parcelle cadastrale du cimetière du Mont Pellier, source Mairie de Gruchet

Presque un siècle et demi s’est écoulé depuis que le dernier défunt a rejoint le cimetière. Chacune des tombes porte le nom de Pouchet. Coïncidence ? Si on prend en compte la densité de population de la commune de Gruchet-Le-Valasse, ainsi que le fait que Louis Ezéchias Pouchet est né dans la commune, il est apparent que les défunts du cimetière du Mont Pelier soient apparentés au métrologue.

Cimetière du Montpelier, source Mairie de Gruchet-le-Valasse.

On trouve inhumés au Montpelier : Pierre Pouchet, Marie Elizabeth Le Caron (épouse Pouchet), Pierre Jacques Pouchet, Julie Judith Viard (épouse Pouchet), Pauline Fauquet-Pouchet et Pierre Gustave Pouchet.

Tous les défunts partagent leur patronyme avec Louis Ezéchias Pouchet quels sont leurs liens de parenté ?

Les Pouchet de Gruchet-le-Valasse

« Nous appartenons à une ancienne famille normande, protestante, dont tous les membres, à une époque où nos diverses industries étaient encore au berceau, avaient fondé çà et là de petites manufactures. Doués d’un esprit progressif on les compta, eux-mêmes ou par leurs alliances, au rang des plus grands industriels du pays. Parmi eux les Pierre Pouchet, les Pouchet-Belmare, les Fauquet, les Lemaître, les Rondeaux, les Joly, par leurs manufactures, ont répandu des millions sur la France »[5]

a)     Une famille d’industriels, de manufacturiers…

Dans un article consacré à la famille Pouchet, Pierre Dardel affirme que les Pouchet sont des artisans dans le domaine du textile. Il écrit dans le numéro des Annales de Normandie de 1962 : « Abraham, né en 1707, est marchand-drapier à Bielleville (…) puis à Gruchet de 1737 à 1754 ; mais d’esprit entreprenant, il s’associe le 9 mai 1749 avec Pierre Dufour, André Pavie, Jean-Louis Delacour, marchand à Rouen, et Pierre Pouchet »[6], leur activité se concentrait sur le commerce « des tissus de laine gaufrés et imprimés »[7]. Cette même société est à l’origine de la manufacture du « Nid de Chien » à Le Havre, où l’on imprimait des lainages et des tissus de coton ou indiennes.

Commune de Gruchet, Section B dite du Village, en deux feuilles, 2e feuille (développée), échelle 1 à 1250, cadastre de 1822. Source Mairie de Gruchet-le-Valasse.

Sur la commune de Gruchet-le-Valasse se trouvait l’une des fabriques appartenant à la famille. Dans les matrices cadastrales de Gruchet-le-Valasse, dans la colonne des diminutions, est inscrite une fabrique au nom de Jacques Fauquet-Pouchet pour l’année 1847.

« Abraham Pouchet meurt à Gruchet le 10 Mai 1754 ; Jeanne Pouchet, qu’il avait épousée en 1728, meurt à son tour en 1770, ils eurent dix-huit enfants », parmi cette nombreuse descendance on compte Louis-Ezéchias Pouchet mais aussi un dénommé Pierre Pouchet, son frère.

Agrandissement de cadastre

b) … et protestante

Felix-Archimède Pouchet affirme son appartenance et celle de sa famille au protestantisme. Le protestantisme est un courant du christianisme au même titre que le catholicisme, l’orthodoxie et l’anglicanisme. L’adjectif « protestant » désigne tous ceux qui appartiennent aux églises nées de la Réforme, sans distinction. Martin Luther, publie en 1517 les 95 Thèses et dénonce les pratiques de l’église romaine[8], comme les indulgences[9]. Pour Luther les esprits, sont corrompus par les mensonges et interprétations des prêtres sur les écrits religieux, c’est pourquoi les fidèles doivent lire les écrits religieux par eux -mêmes, c’est pourquoi La Bible doit être publiée en langues vernaculaires[10].

Les pensées de la Réforme se répandent, sur le territoire de l’Allemagne actuelle tout d’abord où des princes embrassent les pensées luthériennes, puis en France. Afin de mettre fin aux guerres de religions qui déciment le royaume de France, Henri IV promulgue l’Edit de Nantes en 1598, édit de tolérance qui accorde certaines libertés aux protestants. Il sera révoqué par Louis XIV en 1685, d’autres édits de tolérance sont promulgués par la suite un en particulier, peu avant la Révolution, signé par Louis XVI à Versailles en novembre 1787, enregistré au Parlement le 29 janvier 1788. Celui-ci accorde aux protestants un état-civil et leur ouvre certaines fonctions, de jouir de tous les biens et droits de propriétés et successifs et d’exercer leurs commerces, art et métiers à l’exception des professions de judicature[4] et d’enseignement.

Au XIXe siècle, les protestants et catholiques se démarquent visuellement, le dogme catholique est considéré comme ostentatoire, il est fait de dorures, de parures auxquelles s’opposent les protestants. Cela se traduit dans la vie quotidienne par des vêtements très sobres, désignés par certains auteurs de l’époque comme austère. Les protestants sont souvent vêtus de noir, et portent des vêtements sans ornements (motifs, broderies etc…)

Le pays de Caux est la région dans laquelle se trouve l’une des plus importantes communautés protestantes du royaume de France. Sur le territoire français, l’Eglise réformée s’organisait en églises consistoriales groupant six mille âmes. Cependant, à cause du nombre de protestants en baisse, seul le département de la Seine Inférieure pouvait prétendre à cette organisation. Le 8 Janvier 1803 il est décidé que Bolbec sera le chef-lieu du consistoire du département. L’église de Bolbec avait autorité sur les arrondissements du Havre et Yvetot. Il faut préciser que les communes concernées sont regroupées dans la pointe du Pays de Caux. Pour la commune de Gruchet on compte environ 25% de protestant vivants sur le territoire de la commune. Dans le registre des temples protestants de Bolbec sont recensés Abraham Pouchet et son épouse, ainsi que six de leurs enfants, dont Louis-Ezéchias Pouchet, et Pierre Pouchet.

Abraham Pouchet est donc le père de Louis-Ezéchias Pouchet et de Pierre Pouchet, l’un des défunts du cimetière.

a)     L’inhumation dans le culte protestant.

Dans le contexte de la révocation de l’Edit de Nantes (1685)[11] on peut penser de prime abord que le cimetière des Pouchet est dû uniquement au contexte religieux car : « Les ordonnances royales exigent de plus qu’ils soient enterrés de nuit et sans rassemblement. Pendant les longues années du « Désert », les protestants qui refusent de se convertir vont ensevelir leurs morts clandestinement, « dans les terres », dans un champ appartenant à la famille du décédé (ce qui ne fait que confirmer le dégoût des catholiques vis-à-vis de cette « religion déformée »)[12].

Le cimetière serait alors un lieu d’inhumation de protestants de la région, enterré à l’écart de la ville pour des questions religieuses. Sauf que, d’une part, la Normandie et particulièrement le pays de Caux, est un cas spécifique en ce qui concerne la population protestante. Et d’autre part, un édit de tolérance fut promulgué et donc cette théorie ne tient plus si on considère les dates de naissance et de décès des Pouchet du cimetière. En effet, « de même que dans le Calvados, on trouve en Normandie des vergers semi-cultivés qui abritent des sépultures privées. Très tôt, ce département fut doté de terrains pour les inhumations réformées, soit par acquisition devant tabellion, soit par des commissaires royaux veillant à l’application de l’édit de 1570. Deux régions concentrent chacune plus d’un tiers des cimetières publics protestants : 34,4% dans le pays de Caux et 37,5% autour de Caen. Seuls de rares cimetières familiaux protestants sont rapportés, parfois anciens communaux tombés en désuétude et « fieffé à un particulier »[13].

Cimetière protestant privé

a)     Qui repose au Mont Pelier ?


Croquis du plan du cimetière

Dans un premier temps, on remarque que les défunts les plus anciens sont inhumés le plus à droite par rapport à l’entrée actuelle. De plus, ils sont inhumés par couple. À l’exception de Pierre Gustave Pouchet.

Les deux tombes les plus anciennes (chronologiquement) sont celles de Pierre Pouchet et Marie Elisabeth Le Caron. Les épitaphes sont pratiquement illisibles.

Photographie des tombes de Pierre Pouchet et de Marie Elisabeth Le Caron

À droite, Pierre Pouchet dont la stèle ne mentionne pas sa date de naissance, est décédé le 03 prairial de l’an 7, c’est-à-dire le 23 mai 1799 à Gruchet-Le-Valasse. Sur son acte de décès est indiqué qu’il est l’époux de Marie Elisabeth Le Caron, et que sa mort a été déclarée par : « Pierre Jacques Pouchet, fabriquant, demeurant en la commune de Bolbec chef-lieu du canton, âgé de 35 ans fils du décédé. Et Pierre Abraham Pouchet fabriquant demeurant en la commune de Bielleville, âgé de 36 ans, fils en loy du décédé »[15]. Pierre Pouchet est âgé de 68 ans au moment de sa mort. Le registre du temple protestant de Bolbec, indique : « 25 Octobre 1731 à Bielleville », ceci est confirmé par le registre paroissial de la commune de Bielleville [16].

À gauche son épouse, Marie Elisabeth Le Caron Pouchet, décédée le 29 Novembre 1806 à Gruchet-Le-Valasse. Son décès fut déclaré le 30 Novembre 1806 par « Jacques Pouchet, âgé de 42 ans, fabricant demeurant à Bolbec, et Pierre Abraham Pouchet Bellemare âgé de 43 ans fabricant demeurant à Blosseville arrondissement de Rouen »[17] comme pour son époux. « Marie Elisabeth Le Caron âgée de 62 ans, fabricante, demeurant en cette commune, née en cette commune le 17 Février 1743 »[18]. Elle est décédée en son « domicile situé au Mont Pelier ».

Tombes de Julie Judith Viard et de Pierre Jacques Pouchet

La troisième tombe est celle de Julie Judith Viard Pouchet. Elle est une belle-fille de Pierre et Marie Elisabeth Le Caron et l’épouse de Pierre Jacques Pouchet. Selon sa pierre tombale, elle est née à Saint-Eustache en 1770 et serait décédée à Saint Quentin le 20 octobre 1818. Elle épouse le 15 Septembre 1792 Pierre Jacques Pouchet.

L’inscription sur la stèle à gauche de la tombe de Julie Judith Viard, indique que Pierre Jacques Pouchet est né le 14 Janvier 1764, baptisé le 15 par Le Berquier, vicaire de Bolbec, né du prétendu mariage de Pierre Pouchet Marchand siamoisier et Marie Elisabeth Caron, le parrain Jacques Bourguignon, la marraine Marie Anne Bertran qui ont déclaré ne savoir signer[19]. Il est décédé le 08 Février 1830 à Bolbec[20]selon l’épitaphe.

Stèle Julie Judith Viard Pouchet

Stèle Pierre Jacques Pouchet

Pauline Fauquet-Pouchet est la fille de « Pierre Jacques Pouchet, marchand fabricant » et de Julie Judith Viard. Elle est née à Bolbec le quinze pluvôse de l’an 3[21], c’est-à-dire le 4 février 1795.  Elle épouse le 29 juin 1813 Jacques Daniel Fauquet à Bolbec[22], son cousin au douzième degré, il est d’ailleurs indiqué sur l’épitaphe : Mme Fauquet-Pouchet. Elle est décédée à Bolbec, le 04 novembre 1832[23] à l’âge de 37 ans.

On peut émettre l’hypothèse que la tombe vide à côté était destinée à recevoir la dépouille de son époux. Celui-ci s’est remarié trois ans après le décès de Pauline Fauquet-Pouchet, à Elisabeth Jule Hey, il est décédé le 4 octobre 1854 et est inhumé au cimetière monumental de Bolbec.

Stèle de Pauline Pouchet

La dernière tombe, dont seuls quelques mots sont lisibles, est celle de « Pierre » Gustave Pouchet. Le fils de Pierre et Julie Judith Pouchet, et le frère de Pauline Pouchet. La stèle indique qu’il est né en 1801 et serait mort en 1832 ou 1852. Selon son acte de naissance Pierre Gustave Pouchet voit le jour le 14 floéral de l’an 9, c’est-à-dire le 14 avril 1801[24].

Stèle commémorative de Pierre Gustave Pouchet

Cependant, l’épitaphe porte l’inscription : « qui repose au Père Lachaise », le grand cimetière parisien. Il se trouve que Pierre Gustave Pouchet est inhumé dans le tombeau des Pouchet, division 36. Il repose auprès de l’un des illustres membres de sa famille : George Pouchet, naturaliste et anatomiste, et petit-fils de Louis Ezechias Pouchet. Selon l’inscription derrière le tombeau : « Pierre Gustave Pouchet, né à Bolbec en 1801, décédé à Paris le 18 janvier 1889.

Trois générations de Pouchet sont inhumées dans ce cimetière, le plus étonnant est que certains d’entre eux ne sont pas décédés sur la commune de Gruchet-le-Valasse. Puisque seuls des Pouchet sont enterrés au Mont Pelier, il s’agit donc d’un cimetière protestant privé, parce qu’il est familial. De plus, on remarque certaines différences de formulation des épitaphes telles que : A la mémoire et Ici repose.

Tombeau Pouchet, à la mémoire de George Pouchet dans lequel repose Gustave Pouchet.
Création de Anatole Marquet de Vasselot.

a)     Une sobriété dans la représentation

Au cours des siècles, les protestants et catholiques se démarquent visuellement. La sobriété des uns s’oppose à l’ostentation des autres. Cela se traduit dans la vie quotidienne par des vêtements très simples, désignés par certains auteurs comme austères. Les protestants sont souvent vêtus de noir, et portent des vêtements sans ornements.

Cette sobriété se retrouve dans leur manière d’inhumer leurs morts. En effet, ils se veulent humbles et discrets. Au départ, de simples pierres posées à même le sol, sans inscription, sans identification possible. Plus tard, les protestants orneront les pierres tombales des versets de la Bible. Enfin, pour des besoins pratiques, ils se résoudront à graver les noms des défunts.

Les tombes du Mont Pelier reprennent cette pratique. Elles sont simples, toutes semblables les unes aux autres. Elles ne sont pas composées de matériaux nobles. Sans versets inscrits. Alignées à la perfection. Le cimetière des Pouchet reprend donc les codes du culte protestant, mais également celui du cimetière privé. Une question se pose cependant : les tombes les plus anciennes sont-elles authentiques ou ont-elles été recréé au Mont Pelier ?

b)    Le cimetière Pouchet : un cimetière privé

La localisation de ce cimetière au Mont Pelier, à l’écart du centre-ville et composé de seulement de six tombes occupées est un cimetière privé. À l’aide des matrices cadastrales qui indique des propriétés de la famille Pouchet dans cette zone, ainsi que des actes d’états-civils, situant la naissance ou le décès d’un Pouchet « en son domicile au Mont Pelier », on peut aisément localiser les propriétés des Pouchet sur les cadastres originaux. La famille Pouchet possédait beaucoup de terres sur la commune de Gruchet-le-Valasse, en plus des manufactures de Bolbec. Pierre Pouchet possède au Mont Pelier les parcelles n°194 à 207 (Section A, secteur de Beauchêne) mais aussi les parcelles n°17 à 24 et n°50 à 51 (Section B).

Agrandissement du cadastre, le MontPellier

Le cimetière du Mont Pelier était situé sur les terres de la famille Pouchet et de ce fait il était leur cimetière familial, situé sur la parcelle 194 du plan. La fortune des Pouchet est incontestable. Par leur éducation protestante, dont le dogme impose de savoir lire afin de pouvoir accéder aux écrits bibliques, les familles protestantes s’élèvent économiquement grâce à leur érudition. La réussite industrielle de la famille dans la région a induit l’augmentation et la multiplication de leurs propriétés terriennes.

On peut supposer que le sol du cimetière était pavé si on en juge par les résidus qu’il en reste aujourd’hui.

Quelques questions demeurent, certains des défunts du cimetière ne sont pas morts à Gruchet-le-Valasse, mais à Bolbec ou encore à Saint-Quentin. De plus, les stèles semblent être faites sur le même « modèle », à la même période, alors qu’un demi-siècle sépare la première de la dernière.

Conclusion :

Un intérêt patrimonial et historique de haute importance :

Un des très rares -voire unique- cimetières protestants privés encore visibles dans notre région, au côté des cimetières protestants communaux de Saint-Antoine-la-Forêt, Saint-Nicolas-de-la-Taille et Mélamare, témoin d’une histoire originale du protestantisme local et conservant la mémoire des Pouchet, une de ces illustres familles protestantes avec les Le Marcis, Fauquet, Lemaitre, Lemaistre, Levesque, Lavotte… véritables « dynasties de l’indiennerie » qui furent à l’origine du développement et de la fortune industrielle textile de Bolbec-Gruchet, de la vallée du Commerce et de la région rouennaise où ils essaimèrent.

Les Pouchet comptent parmi les premiers fabricants de toiles peintes puis indienneurs normands, continués au XIXe siècle par les Rondeaux-Pouchet (Voir Atelier Musée de Bolbec et collection des échantillons aux archives municipales de Bolbec)

Pour les Gruchetains, une histoire familiale s’inscrivant dans l’histoire économique et sociale de la commune dominée par l’indiennerie, la teinturerie et le tissage et leurs conditions de travail.

On remarquera que Gruchet-le-Valasse fut non seulement la résidence des manufacturiers protestants Pouchet et des grands industriels du textile cotonnier Fauquet Lemaitre en leur château du Valasse mais aussi des catholiques Desgenétais en leur château des Genêts, autre famille de grands cotonniers de Bolbec-Lillebonne-Caudebec.

[1]  POUCHET Félix-Archimède, Théorie positive de l’ovulation spontanée et de la fécondation des mammifères et de l’espèce humaine, J.-B. Baillère, Paris, 1847.

[2] POUCHET Félix-Archimède, Notice biographique sur Louis-Ezéchias Pouchet, négociant à Rouen, membre de la société d’émulation de Rouen, Société d’émulation de Rouen,1866, pp.32.

[3] Inventaire du 11 prairial an VII. Elles étaient évaluées à 12 livres le 1.000.

[4] Parcelle AD73, Plan du cadastre de la ville de Gruchet-le-Valasse – France Cadastre (france-cadastre.fr)

[5] POUCHET, Félix Archimède, Notice biographique sur Louis-Ezechias Pouchet, négociant à Rouen, membre de la société d’émulation de Rouen, p.7

[6] POUCHET, Félix Archimède, Notice biographique sur Louis-Ezechias Pouchet, négociant à Rouen, membre de la société d’émulation de Rouen, p.8

[7] Idem.

[8] Dont l’autorité réside à Rome en la personne du Pape.

[9] Indulgences : acte que le fidèle peut acheter afin d’obtenir l’annulation de la pénitence ou punition qu’il doit accomplir afin de racheter un péché.

[10] Vernaculaire : les langues qui sont parler, c’est-à-dire pas du latin.

[11] Judicature : profession de juge

[12] Révocation de l’édit de Nantes : dit édit de Fontainebleau, est promulgué par Louis XIV, en 1685, cet édit annule les libertés de cultes accordées aux protestants de France.

[13] Les lieux d’enterrement des protestants – Musée protestant (museeprotestant.org)

[14] COURET Tiphaine, « Les cimetières familiaux protestants », in L’Anniversaire de la Réforme, pp. 163-183. Les cimetières familiaux protestants (openedition.org)

[15] Archives communales de Gruchet-Le-Valasse, Registre de l’Etat Civil, Naissances, Mariages, Décès

[16] Archives départementales de la Seine-Maritime, Registres paroissiaux de Bielleville, baptêmes, mariages, sépultures, 1731-1734.

[17] Archives communales de Gruchet-Le-Valasse, Registre de l’Etat Civil, Naissances, Mariages, Décès

[18] Archives communales de Gruchet-Le-Valasse, Registre de l’Etat Civil, Naissances, Mariages, Décès

[19] Archives départementales, Registres paroissiaux de Bolbec, baptêmes, mariages, sépultures, 1763-1764.

[20] Archives départementales, Registres paroissiaux de Bolbec, baptêmes, mariages, sépultures, 1795.

[21] Archives départementales de la Seine-Maritime, Registres paroissiaux de Bolbec, baptêmes, mariages, sépultures, 1795.

[22] Archives départementales de la Seine-Maritime Registres paroissiaux de Bolbec, baptêmes, mariages, sépultures, 1813.

[23] Archives départementales, Registre d’Etat-civil de la ville de Bolbec, Naissances, Mariages, Décès, 1832.

[24] Archives départementales, ville de Bolbec, registre d’Etat-Civil, Cote 4E 08027

Anaïs SANSON avec la participation d’Alain AVENEL, Historien.